Les différentes viscosités

(selon la mécanique des fluides, la physique des polymères, la rhéologie)

La viscosité est à la fois une notion de sens commun et un concept scientifique, commun aux domaines de la mécanique des fluides, de la physique des polymères et de la rhéologie.

Malheureusement, ces différents domaines n’ont pas tout à fait le même usage de ce concept, si bien que l’on ne relève pas moins d’une dizaine de qualificatifs de viscosité -apparente, dynamique, cinématique, absolue, relative, intrinsèque, réduite, complexe, élongationnelle, …

On rencontre aussi des qualificatifs « propriétaires », tels que viscosité Brookfield, Krebs, etc., qui tendent à rendre cette notion particulièrement complexe pour le non-spécialiste. Nous partageons dans le présent article quelques éléments de clarification.

Viscosité apparente

La viscosité apparente désigne la viscosité instantanée, c’est-à-dire la valeur de viscosité à l’instant t telle que mesurée dans un dispositif destiné à cet effet.

Cette notion tient compte du fait que pour la plupart des produits, la viscosité mesurée dépend des contraintes de cisaillement qui lui sont appliquées. Elle tient compte aussi de phénomènes transitoires susceptibles d’occasionner des évolutions de la viscosité mesurée. Il n’y a que dans le cas de fluides dits newtoniens (correspondant globalement aux liquides ne contenant aucune molécule complexe) que la viscosité est une constante (dépendant malgré tout de la température).

La viscosité apparente est donc un concept de nature plus pédagogique que scientifique, destiné à attirer l’attention sur l’ambiguïté possible de l’interprétation de la valeur mesurée.

Viscosité dynamique

La viscosité dynamique est le concept scientifique définissant la viscosité comme un rapport entre deux grandeurs mesurées : la contrainte de cisaillement imposée au produit et le gradient de vitesse de cisaillement au sein du produit.

Compte tenu des possibles phénomènes transitoires lors de l’application des contraintes, la viscosité dynamique correspond à ce rapport en régime stabilisé, pour un gradient de cisaillement et une température donnés.

Viscosité absolue

La viscosité absolue correspond à la viscosité dynamique.

Contrairement à l’usage courant en science du qualificatif « absolu » pour signifier une valeur constante (uniquement le cas pour un fluide newtonien, modulo la variation en température), absolu traduit ici la dimension objective de la valeur dès lors qu’elle est déterminée à partir d’une quantification scientifique de la contrainte de cisaillement et du gradient de vitesse.

Viscosité cinématique

La viscosité cinématique correspond au ratio entre viscosité dynamique et masse volumique du produit. Cette grandeur apparaît dans les équations de mécanique des fluides (Navier-Stokes).

Au sens strict, la viscosité cinématique n’a pas la dimension usuelle d’une viscosité -on pourrait parler de « viscosité volumique ».

Viscosité relative et viscosité spécifique

La viscosité relative est une notion développée dans le contexte de la physique des polymères et correspond au rapport entre la viscosité d’une solution polymère et la viscosité du solvant.

La viscosité relative est un nombre sans dimension qui traduit donc la viscosité (de la solution polymère) relative à celle du solvent. On peut noter que cette notion perd de son sens lorsque la solution polymère devient non-newtonienne. Elle est donc réservée le plus souvent au solutions faiblement concentrées. A noter aussi que malgré le qualificatif « relative », elle n’est en rien opposée à la viscosité « absolue ».

La viscosité spécifique, quant à elle, exprime la variation de viscosité relative. La viscosité spécifique est elle aussi un nombre sans dimension.

Viscosité inhérente, viscosité réduite et viscosité intrinsèque

Le domaine des polymères a instauré trois autres types de viscosité : la viscosité inhérente, la viscosité réduite et la viscosité intrinsèque, afin de tenir compte de l’effet de concentration en polymère.

La viscosité inhérente est le rapport entre le logarithme de la viscosité relative et la concentration. La viscosité réduite est le rapport entre viscosité spécifique et concentration. Enfin, la viscosité intrinsèque est la limite de la viscosité réduite (ou de la viscosité inhérente) lorsque la concentration en polymère tend vers 0. Elle vise à traduire la contribution limite d’une chaine polymère.

Là encore, ces notions n’ont pas la dimension de viscosité au sens strict mais plutôt d’une « viscosité molaire ».

Il est important de noter que ces notions perdent de leur signification pour des régimes de concentration dans lesquels les polymères commencent à interagir (régimes semi-dilués et concentrés). Dans ces régimes, la variation avec la concentration n’est plus linéaire mais en loi de puissance.

Viscosité complexe

La viscosité complexe est une notion issue des modèles de la rhéologie en petites oscillations. Elle représente le rapport de la réponse en contrainte par rapport à la sollicitation en gradient de cisaillement oscillant. Nous n’entrerons pas dans plus de détail dans le présent article.

Viscosité élongationnelle ou extensionnelle

Là où les différentes viscosités sont déterminées par l’application d’une contrainte en cisaillement, la viscosité élongationnelle ou extensionnelle correspond à la réponse par l’application d’une contrainte en traction/élongation.

La viscosité élongationnelle est le rapport entre la contrainte appliquée et le gradient de déformation.

Viscosités « propriétaires »

On pourrait ajouter à la liste les viscosités associées à l’utilisation d’un dispositif de mesure particulier, tel le viscosimètre Brookfield ou Krebs, et leurs protocoles de mesure associés.

Les valeurs mesurées sont relatives à des valeurs étalonnées, permettant de comparer des valeurs dans une optique de contrôle qualité. Néanmoins, ces valeurs ne peuvent prétendre à être interprétées comme des valeurs de viscosité en tant que telle.

Conclusion

Si le concept de viscosité semble à première vue intuitif, l’existence de tant de notions de viscosité traduit bien la complexité concrète des phénomènes associés, pour lesquels différents domaines scientifiques ont été amenés à établir des sous-concepts pour leurs besoins d’étude.

Etant donné le manque d’homogénéité de ces notions entre elles, il est utile d’avoir une compréhension suffisante de leurs nuances pour pouvoir les exploiter dans les contextes appropriés.

Last Updated on 4 novembre 2022 by Vincent Billot