Introduction aux techniques instrumentales comportementales

Les industries de transformation de matière regorgent d’instruments de mesure et normes destinés à quantifier des propriétés macroscopiques liées à l’écoulement, la texture ou la tenue mécanique des ingrédients, produits finis ou semi-finis.

Parmi elles, coupes de viscosité, entonnoir de Hall, viscosimètre, texturomètre, rhéomètre, tribomètre, duromètre et autres DMA, sont des instrumentations destinées à attribuer des valeurs à des comportements macroscopiques de différents types de matière (poudres, fluides, pâteux, semi-solides, …).

Souvent utilisés à la fois en contrôle qualité et en R&D, ces instruments posent souvent des difficultés : les mesures peinent à différencier des matières ou produits différents dans leurs comportements réels. Ainsi, sans capacité fiable de discrimination, la mesure en est alors réduite à produire une valeur de contrôle de peu d’intérêt.

Dans cet article, nous présentons sommairement ces techniques et leurs principes de fonctionnement, offrant ainsi une grille d’analyse inédite de leurs utilisations possibles et leurs limites.

Techniques instrumentales empiriques par écoulement gravitaire

Les plus rudimentaires des techniques de mesure rhéologique visent à quantifier l’écoulement de la matière sous l’effet de son propre poids, par gravité.

Selon la géométrie et le principe du dispositif, on mesurera un temps d’écoulement, une distance parcourue, une taille caractéristique d’orifice, un angle, qui donneront une indication d’une tendance à l’écoulement du produit. On parle souvent d’indice de viscosité pour les fluides, de coulabilité pour les poudres, de consistance pour les produits pâteux.

Coupe de viscosité

La coupe de viscosité (qui historiquement fût le premier dispositif dénommé « viscosimètre ») a la forme d’un entonnoir dans lequel un produit suffisamment fluide peut s’écouler. On mesure le temps d’écoulement d’une quantité de fluide donnée. Généralement, les dimensions et caractéristiques de la coupe sont normalisées (coupe Ford, coupe Zehn, …).

Sur ce principe, on trouve aussi des viscosimètres à efflux, des dispositifs de type coupe de viscosité dotés de moyens de contrôle de température (voir notre article Petite histoire de viscosimétrie et rhéométrie).

Viscosimètre Ostwald

Viscosimètre capillaire

Le viscosimètre capillaire a été popularisé par Ostwald dans la deuxième moitié du XIXè siècle. Constitué d’un tube en U, il permet, par une mesure du temps de passage d’un fluide entre deux marques, de déterminer un indice de viscosité.

Le viscosimètre capillaire est encore en usage normatif pour les produits newtoniens dans certains domaines (pour les huiles notamment).

Coulabilité de poudres : débitmètre à entonnoir de Hall/Carney, Flodex, angle de talus

Pour les poudres, on trouve différents dispositifs d’écoulement à travers un dispositif normalisé à géométrie de type entonnoir. On parle souvent de mesures de coulabilité.

Le débitmètre à entonnoir de Hall fonctionne sur un principe équivalent à la coupe de viscosité : on mesure le temps d’écoulement d’un volume de poudre donné à travers le dispositif.

Le Flodex est basé sur un dispositif à entonnoir dont le principe de quantification légèrement différent : il s’agit de déterminer le diamètre de l’orifice minimum permettant l’écoulement de la poudre. Pour cela, il s’agit de réitérer l’expérience d’écoulement avec des orifices de tailles progressivement décroissantes. Au diamètre de l’orifice est associé un indice de coulabilité.

Enfin, la mesure d’angle de talus repose elle aussi sur l’utilisation d’un dispositif de type entonnoir afin de préparer un tas de poudres. On mesure alors l’angle de pente du tas soit par des moyens goniométriques ou optiques.

Consistomètre de Bostwick

Le consistomètre de Bostwick est quant à lui un dispositif de type plan incliné normalisé dédié aux produits plutôt pâteux. Le produit, déposé au sommet du plan incliné, s’étale progressivement le long du plan sous l’effet de son poids. La distance parcourue donne une valeur numérique associée à la consistance du produit.

Point d’étape : des techniques empiriques mesurant des quantités purement opérationnelles

Dans ces diverses techniques, souvent qualifiées d’empiriques, les quantités mesurées ne sont généralement pas définies scientifiquement, mais de façon essentiellement opérationnelle : la quantité mesurée est définie exclusivement par ce que quantifie le dispositif à travers son mode de fonctionnement propre, sans rapport particulier avec une propriété établie sur le plan théorique.

Par exemple, la consistance mesurée avec le consistomètre de Bostwick combine a minima des contributions liées à la densité du produit (conditionnant l’effet de la gravité), à sa rhéologie (plus ou moins de seuil d’écoulement) et sa physique aux interfaces (des produits plus ou moins collant ou glissant s’écouleront fort différemment). Ainsi, des produits très différents seront susceptibles de présenter des consistances équivalentes. Pour autant, pour des produits de formulation proche, les différences de consistance mesurée constitueront un indicateur de leur différence.

Autre exemple, le temps d’écoulement d’un produit mesuré lors de son passage à travers une coupe de viscosité ne présente une relation arithmétique avec la viscosité du fluide que dans le cas particulier des fluides newtoniens (voir notre article Viscosité, rhéologie et confusion). Dans le cas de fluides présentant des rhéologies plus complexes (non-newtoniens, à seuil, etc.), le temps d’écoulement, quoique susceptible de traduire opérationnellement une tendance relative à la coulabilité, ne saurait constituer une mesure de viscosité.

Techniques instrumentales à contraintes mécaniques

Par contraste avec ces techniques basées sur une quantification du comportement sous l’effet de la gravité, on trouve des techniques instrumentales basées sur l’application de contraintes mécaniques contrôlées : les techniques instrumentales à contraintes mécaniques.

Les techniques instrumentales à contraintes mécaniques sont susceptibles d’exploiter les différents modes de contraintes et de déformations de la matière connus à l’échelle macroscopique : compression, traction, torsion, flexion, cisaillement.

Duromètre

Le duromètre est une technique de mesure de la dureté, datant des années 1920, basé sur l’application d’une contrainte de compression sur une surface restreinte (indentation), à l’aide d’un pénétrateur de constitution et dimensions normées (adaptées selon la nature du produit à mesurer).

Le duromètre quantifie la force nécessaire pour une indentation définie, dans différentes échelles de dureté (Shore, Rockwell, Vickers, Brinell) adaptées pour le test de différents types de matériaux (élastomères, plastiques, métaux, cuir, bois,…).

On trouve aussi des duromètres et normes associées pour les matériaux cassants ou fins (Knoop test).

Viscosimètre

Le viscosimètre, apparu au début du XXè siècle, applique au produit une contrainte de cisaillement par rotation d’un mobile (de géométrie variable selon les modèles et nature des produits) dans un récipient contenant le produit et quantifie la modification du couple moteur causée par la présence du produit, traduite en une valeur de viscosité.

En pratique, notamment dans le cas des viscosimètres Brookfield, les plus courants, la mesure est effectuée avec un mobile dont la vitesse de rotation est fixée (en rpm, round-per-minute, c’est-à-dire en tours-par-minutes), couplé avec une mesure de température.

Les viscosimètres sont dédiés à des produits plutôt fluides, avec certaines limitations selon les propriétés spécifiques du produit (voir notre article Viscosité, rhéologie et confusion).

Gélomètre

Le gélomètre est destiné à quantifier certaines propriétés de gels et, par extension, de produits à changement de phase. Ce dispositif existe en deux variantes : une orientée vers la mesure de force de gel, fonctionnant en compression, une orientée vers la quantification de temps de gélification, fonctionnant en cisaillement.

Les gélomètres en compression sont des variantes du testeur de Bloom, développé dans les années 1920 pour les gels et gélatines, et proche du principe de fonctionnement du duromètre. Il s’agit de déterminer la masse limite de pénétration d’un plongeur normalisé occasionnant une certaine déformation du gel sans rupture ; ce poids est traduit en une force/consistance de gel en unité Bloom. Les versions contemporaines déterminent plutôt une force limite avant rupture.

Les gélomètres en cisaillement fonctionnent sur le principe du viscosimètre avec un mobile-crochet dont la rotation est progressivement empêchée par la gélification ou la prise du produit. Le suivi cinétique permet de déterminer un temps de gel.

Texturomètre

Le texturomètre, développé initialement dans les années 1960 pour les besoins de l’agroalimentaire sur la base du trop méconnu tendromètre à dentier, fonctionne sur un principe de contraintes de compression sur des produits texturés.

L’approche usuelle de Texture Profile Analysis (TPA) consiste à imposer des cycles de déformation et d’exploiter la réponse en force (et ses intégrales) induite par le produit à tester, permettant de remonter à des paramètres indépendants de dureté, collant, cohésivité, élasticité et des paramètres de traduction délicate en français : brittleness, chewiness, guminess.

Des approches plus exotiques ont recours à différents mobiles et bancs de test adaptables au texturomètre pour imposer des contraintes selon des configurations plus spécifiques, de la légère déformation à la pénétration du mobile, le tranchage du produit, sa flexion, sa rupture (par exemple dans le cas de produits craquants).

Le texturomètre traduit bien cette notion de technique instrumentale comportementale, dans laquelle il s’agit de reproduire des contraintes macroscopiques par les modalités de mise en œuvre d’une instrumentation aux principes de fonctionnement mécanique robuste sur le plan scientifique. Les options de paramétrage des protocoles, variables selon les modèles, ouvrent de nombreuses voies de quantification comportementale.

Dynamical Mechanical Analysis

La DMA est une technique de mesure des propriétés viscoélastique des matériaux. Basée sur l’application de contraintes de compression, la DMA exploite un mode particulier d’application que nous retrouverons dans le rhéomètre : les oscillations. Les oscillations de compression sont appliquées à une fréquence et une amplitude donnée (dans des conditions thermiques données). Les réponses du matériaux (en phase et en opposition de phase) permettent de remonter aux modules viscoélastiques (en compression) E’ et E’’.

L’application de « balayages » (sweep) en fréquence et/ou amplitude et/ou en température permet de déterminer différents paramètres de comportement dynamiques, en particulier les températures de transitions de phase (transition vitreuse notamment pour les polymères).

Principalement utilisée dans le domaine des polymères, la DMA présente un intérêt de principe pour tout type de matériaux souple ou à changement de phase.

Tribomètre et tribotesteurs

Le tribomètre est une instrumentation dédiée à déterminer les propriétés tribologiques, c’est-à-dire les propriétés de friction, d’usure et de lubrification entre deux matériaux. Cette instrumentation, inventée au 18è siècle, applique ainsi des contraintes combinant compression et cisaillement.

A l’instar des texturomètres, les tribomètres sont souvent équipés de modules permettant d’appliquer les contraintes selon des mouvements (et dans des gammes d’effort) caractéristiques du contexte d’application à simuler : quatre-billes, bille-sur-disque, bille-sur-trois-plateaux, anneau-sur-anneau, disques, …

Rhéomètre

Développé dans les années 1970, et sans cesse perfectionné depuis, le rhéomètre est certainement l’instrument le plus polyvalent des instrumentations comportementales, en ce qu’il présente la particularité de pouvoir imposer des contraintes mécaniques de tout type (cisaillement, compression, extension, flexion, torsion).

Le rhéomètre est ainsi à la fois un viscosimètre (en principe) perfectionné, un texturomètre, une DMA, un tribomètre*. Selon les gammes, on trouvera des instrumentations aux performances diverses, plus ou moins paramétrables.

De façon générale, il nous semble possible d’identifier quatre modes principaux d’utilisation du rhéomètre :

  • Rhéométrie conventionnelle, dédiée à la mesure de propriétés rhéologiques en écoulement (viscosité, seuil d’écoulement, thixotropie, …)
  • Rhéométrie avancée, appliquant le mode de contrainte oscillante, en cisaillement pour la mesure viscoélastique de G’, G’’ -et en compression, seulement accessible sur certaines gammes.
  • Rhéométrie exotique, exploitant des modes en compression de type texturométrie ou hybride compression/cisaillement de type tribométrie

Comme pour le texturomètre ou le tribomètre, de nombreuses cellules spécifiques permettent d’imposer des contraintes dans des configurations particulières et d’extraire des quantités semi-empiriques (moins robustes que des propriétés reposant sur des théories complètes, mais plus scientifiques que des paramètres liés à des modes de contraintes excitant plusieurs types de phénomènes).

Notons aussi l’existence de rhéomètres spécifiques : Rhéomètre extensionnel (souvent appelé par le nom de son principal modèle commercial : le Caber), rhéomètre capillaire, rhéométrie exotique, micro-pilote instrumenté.

Conclusions

A l’issue de ce tour d’horizon non exhaustif de techniques instrumentales courantes dans les industries de transformation, il est possible de dresser un premier bilan :

  1. Loin d’être réduites à mesurer une quantité (comme on le ferait avec une règle ou un mètre pour mesurer une distance), les techniques instrumentales comportementales imposent des contraintes mécaniques à la matière pour déterminer en retour des réactions (réponses) de la matière.
  2. Ces contraintes sont imposées à l’échelle macroscopique par écoulement gravitaire, compression, cisaillement, extension, flexion ou torsion. Des contraintes environnementales (température notamment) peuvent être aussi contrôlées.
  3. Ces contraintes sont plus ou moins paramétrables selon les instrumentations, limitant la détermination de réponse à des valeurs uniques ou des ensembles de points (fonction) selon les contraintes imposées. Ainsi, la variété des modes de contraintes possibles démultiplie les types de réponses, physique, mécanique, rhéologique, tribologique, texture, …
  4. La nature des états de matières dépend du type de dispositif et de conditions de paramétrage possibles des contraintes à appliquer.

Ces considérations sur les techniques instrumentales ne doivent pas faire oublier que toute mesure est sous-tendue par un contexte de questionnement. Souvent, les regards portés sur la mesure font abstraction des questions qui la motive, comme si la quantité à mesurer pour répondre à telle ou telle question allait de soi. Il n’en est rien, en particulier pour les problématiques industrielles, et la variété des instrumentations évoquées en constitue une preuve concrète.

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Last Updated on 4 novembre 2022 by Vincent Billot